Le Capitaine

Les premiers pas 

Roland m’attendait chez lui, dans ce village du Pays basque situé à égale distance de l’océan et des premières montagnes de nos Pyrénées-Atlantiques. 
C’était un mercredi, son petit-fils, Heino, n’avait pas classe, en bon prof d’EPS qu’il n’a jamais cessé d’être, il surveillait ses premiers shoots de basketteur sans oublier de lui demander si tous ses devoirs étaient faits. 
On a commencé à discuter, autour d’un café fumant, près de deux heures et demie de conversation à bâtons rompus où on a parlé de rugby, de Bayonne et du fil rouge qui nous réunit : L’Aviron Bayonnais. 
Ce club qu’on a comparé, autrefois, dans sa dimension omnisport, au grand Racing Club de France, le casier des vestiaires des ministres en moins, le côté provincial sûrement. 
Roland est un enfant de Bayonne, du quartier Marracq plus précisément. C’est là qu’il a connu, dès la maternelle, Alain Marguirault, son frère d’armes et d’études. 
Roland a toujours été intéressé par le rugby, à cette époque-là c’était le seul des sports collectifs de haut niveau que l’on pouvait trouver à Bayonne. 
Alors, lui et les autres gamins de son âge allaient regarder de temps en temps des matchs au stade Saint-Léon, l’ancêtre de Jean Dauger, et avaient plaisir à voir évoluer les joueurs qui faisaient la une des gazettes locales. 

 

Pourtant, il n’a pas commencé le sport de compétition par le rugby, qu’il n’avait pratiqué qu’à l’UNSS, mais comme basketteur de l’Aviron Bayonnais. 
Le même club, mais sans crampons et avec deux paniers en plus. 
C’est durant son année de terminale, à 18 ans, qu’il va commencer le rugby en Crabos et rejoindre des joueurs qui vont devenir ses copains de jeux et dont les noms vont rapidement devenir des références au sein de l’aficion ovale de la Nive et de l’Adour : Pierre Dospital, Daniel Barnebougle, Jean-Marie Sein et François Etcheverry, entre autres. 
C’est aussi à cette époque qu’il va rencontrer et découvrir un personnage hors norme du rugby bayonnais portant toujours une intrigante veste à l’emblème de la fleur de lys. 
Cette veste, c’était le blazer du Lys Club de Chantilly, un club huppé et select de la grande banlieue parisienne. 
Cet homme, c’était Jean Dauger, ami proche de l’écrivain Kléber Haedens, lui-même membre de ce club, c’est ce dernier qui avait introduit la célébrité bayonnaise dans cet antre réservé. 
A côté de cela Jeannot était un homme simple, sûrement complexe, mais très abordable et avenant. Roland apprit très vite à le connaître et à l’apprécier pour toutes ses qualités et ses quelques défauts. 

Bac en poche, accompagné de Jean-Marie Sein, il prit, l’année suivante, la direction de la classe préparatoire du CREPS de Pau où Roland va se faire des amitiés pour la vie avec Max Godemet, ancien préparateur physique de l’équipe de France version Fouroux et entraineur du grand Hagetmau d’Alain Lansaman, mais également avec Jean-Yves Nérin qui savait allier la vitesse du sprinter à la réflexion rugbystique du technicien mais sans la VMA du hurdler ce qui lui permit, sans doute, de pouvoir écrire un ouvrage sur la préparation physique du rugbyman en collaboration avec Marcel Peyresblanques et Serge Collinet

 
Le concours était dur et très sélectif, l’équipe pédagogique de l’époque refusait à tous ses élèves de pratiquer quelque sport que ce soit en dehors des heures de cours, interdiction formelle et sans exception. 
Roland et Jean-Marie furent donc privés de rugby tout au long de l’année qu’allait durer ce cours préparatoire. 
Cédant aux implorations de Roger Etcheto, en manque d’ouvreur, Jean-Marie dérogea deux fois à la règle, une fois pour un match à Saint-Junien qui passa café-crème et une autre fois pour une rencontre à Oloron au stade de Saint-Pée où il fut le héros du match en marquant l’essai de la victoire dans les derniers instants. 


Le lendemain, ce fut une sérieuse soupe à la grimace du côté du lycée Palois, vu que tous les profs étaient à Oloron pour assister le match et que le sauveur de la veille faisait  la une de tous les journaux locaux… mal tiempo pour l’apprenti prof d’EPS. 
Roland, lui, joua son premier match en équipe première en amical à la fin du mois d’août suivant, pour un tournoi triangulaire dans le superbe stade à l’anglaise d’Hossegor contre Dax et Tyrosse. 

Aviron Bayonnais Rugby Formation Formation Bts Ndrc Mco IMG 6226

Il ne se souvient pas trop du résultat, mais se rappelle que derrière il enchaîna avec deux rencontres en Du-Manoir contre Mont-de-Marsan et Narbonne. 
Ensuite, les habituels titulaires de l’équipe première sont revenus de vacances et ce fût retour à la case Reichel pour le reste de l’année jusqu’à un match en 16ème de finale contre Tyrosse, avec l’équipe une, à Charléty. 
Il faut croire qu’en ces lointains temps Ferrassien, le stade parisien était le seul vrai milieu de l’hypoténuse d’un drôle de triangle rectangle basco-landais. 
Il était remplaçant pour ce match et, à l’époque, le statut du remplaçant s’arrêtait à la fin de l’échauffement, à partir du moment où le match avait débuté, plus aucun changement de joueur n’était autorisé par le règlement. 

Le regard du capitaine 

 
L’année suivante, il intègre définitivement la 1ʳᵉ, pour ne plus jamais en ressortir, et à l’issue de la saison régulière, il est évidemment titulaire pour le 16ᵉ de finale contre Dax à Biarritz. 
Mais la vie de jeune sportif amateur en ce temps-là avait des contraintes que l’ère connectée d’aujourd’hui ignore totalement, c’est même surement intik-tokable sur un smartphone… 
Roland doit faire son service militaire !! 
C’est à peine si le 3615 du minitel se souvient de cette époque-là… 
On lui avait promis la base de Mont-de-Marsan, il se retrouve, miracle du piston, au centre national des commandos à Mont-Louis, près de Font-Romeu, où un colonel zélé et près de sa fourragère lui indique que son année de conscrit se passera très loin des terrains de rugby au plus près des Pyrénées vaguement orientales. 
Roland prit son mal en patience, sachant que l’heure tournerait toujours et invariablement dans le sens de sa liberté de jouer.  
Alors, pragmatique, il devint MNS et, quelques années plus tard, exerça cette activité presque récréative, durant un mois d’été 1976, à la piscine de l’Aviron. 

 

Quelques temps avant qu’elle ne disparaisse définitivement. 
Après cet intermède militaire, retour au rugby et à Bayonne évidemment.  
Certains joueurs de sa génération avaient commencé à se faire une place de titulaire au sein de l’équipe une. Il alla rapidement chercher son maillot de titulaire, faisant écho bien avant l’heure à l’antienne martiale que ne cesse de nous répéter un Fabien Galthié plus Maximus que jamais. 
Après deux premiers matchs en tant qu’équipier, les deux entraineurs de l’époque ; Robert Baulon et Georges Perrier le nommèrent capitaine pour un match à Biarritz, il le resta durant 8 années d’affilée. 

Pour Roland, le rugby était un aimable passe-temps dont il comptait profiter au maximum. 
Il savait que les titularisations systématiques des joueurs de son millésime pouvaient en frustrer certains s’estimant lésés par une telle omnipotence. 

C’était la loi du genre, il ne s’en formalisait pas vraiment et son équipe prit naissance au sein de ces années 70, accueillant les brillants jeunes du club et la valeur ajoutée de certaines recrues de premier choix. 

Tous les dimanches soir, après le match dominical de 15h, les dirigeants, les entraîneurs et les joueurs se retrouvaient au Garage de la Nive, le siège du club, pour un repas en commun. 
Il y avait du respect entre tous, Roland aimant particulièrement converser avec des dirigeants comme Popaul Labadie ou le docteur Barras. 
On parlait de tout avec tous, c’est sûrement là que s’est forgé l’esprit de camaraderie et de solidarité qui a toujours accompagné cette équipe tout au long de son parcours sur les hauteurs de ce fameux championnat à 56 clubs. 
On parlait partout de ce fameux jeu à la bayonnaise, la passe sur un pas et la balle à l’aile, la vie est belle… Bullshit !!  
Roland avait horreur de cette étiquette qui ne valorisait qu’une forme de jeu au détriment de bien d’autres ayant tout autant leur place et parfois même, plus… 
Il pense qu’il a sûrement manqué une réflexion plus poussée suite à la défaite en finale contre Agen en 1982 et que ce devoir d’inventaire aurait dû s’étendre sur toute la période allant de 1977 à 1983, la période dorée de cette génération protée. 
Le jeu d’avant n’a peut-être pas assez été valorisé pour permettre à l’équipe d’être plus équilibrée et de faire que son jeu soit plus efficient – et surtout gagnant dans les matchs couperets des phases finales, joués régulièrement durant ces années-là. 
Son regard se fait interrogateur, presque pensif, quand il évoque la victoire en Challenge du Manoir en 1980 avec un Jean-Pierre Elissalde, gare de triage cérébrale et gestionnaire du jeu et de ses excès, envers et contre tous. 

Mais il n’a pas de regrets, ce ne sont que de bons moments et de beaux souvenirs, les ingrédients indispensables pour une belle histoire, tout le reste n’est que littérature à la petite semaine. 
Toujours au registre des souvenirs marquants il y a un joueur qui l’a impressionné, juste 15 jours et seulement à l’entraînement, juste le temps que le règlement, encore une fois, très Ferrassien de l’époque ne lui refuse le transfert que tout le mundillo du rugby bayonnais attendait. 
Ce joueur, citoyen de Sa Majesté Élisabeth II, c’était le seconde ligne Nigel Horton, international en titre du XV de la Rose. Il avait défoncé tout le monde à l’entraînement, renvoyant au séant de leurs chères études les plus gaillards de devant, les trois-quarts, eux, prudemment, restaient à l’écart de ces collisions issues d’un improbable siècle à venir. 
Pour la petite histoire, quelques semaines plus tard, l’ »Agen connection » accorda son bon de sortie ou d’entrée, au choix, à ce brave Nigel, du côté du Stade toulousain. 

Si la victoire en Du Manoir et la finale de 82 (la saison entière en fait), restent ses meilleurs souvenirs, il veut retenir, en priorité, l’ensemble de sa carrière et la solidarité de l’équipe dont il fut l’emblématique et généreux capitaine durant de longues années. 
Il a connu les sélections dès sa première année de rugby en Crabos: en équipe Côte-Basque tout d’abord où il était déjà capitaine, puis en pré-sélection nationale, à Tours pour intégrer l’équipe de France junior, où il fut sélectionné et toujours capitaine avec cette dernière. 
Il va connaitre France B, capitaine again, deux sélections avec la grande équipe de France qui ressemblent un peu trop à des accessits à mon goût subjectif. 
Il a également été Barbarians français contre les All-Blacks et capitaine de l’équipe Côte-Basque lors d’une tournée en Nouvelle-Zélande en 1981. 
Toutes ces sélections valorisent sa carrière à un niveau international et sont les médailles d’honneur de sa bravoure reconnue à sa juste valeur. 
Il aurait aimé être rugbyman professionnel et connaître sa complétude de joueur, toucher du doigt ses limites ou pouvoir les repousser vers un infini indéfini. 
Lui, qui n’a connu que des saisons avec deux entraînements collectifs par semaine, aurait aimé savoir jusqu’où il aurait pu aller avec un entraînement quotidien et les soins adaptés qui vont avec. 

« Aujourd’hui, les joueurs sont pleinement accompagnés pour être mis dans les meilleures conditions physiques et techniques possibles et jouer en complète sérénité.

Autrefois, on jouait avec des partenaires issus du même microcosme local, voire de la même origine sociale.              De nos jours, le recrutement est international et les équipes ressemblent souvent à des sélections mondiales. 


            Jadis, les schémas de jeu et la vidéo existaient à peine, tout juste à l’état d’embryon, la stratégie était très basique, sans aucune comparaison avec aujourd’hui. Chacun a son rôle, sa partie du terrain, tout est très codifié. 


            Le niveau quantitatif a aussi considérablement augmenté. Faut se rappeler qu’autrefois, quand tu partais remplaçant, dès que le match commençait, ton rôle était fini, puis on est passé à 2 remplaçants, puis à 3…  


Les égos sont également beaucoup plus exacerbés. » 

Retour vers le futur  

Notre discussion revient sur l’équipe de 82, une nostalgie qui s’impose avec les premiers décès de joueurs de cette époque (Christian Belascain, Pierre Destandeau, Patrick Perrier, Michel Guilleton, Alain Darrigrand…) et le besoin collégial de tous les autres, autour de leur capitaine, de resserrer le lien et de se retrouver régulièrement pour des moments conviviaux où la mélancolie et le spleen s’envolent à tire d’ailes derrière les rires francs, les souvenirs d’antan et les chants à foison. 
Le rugby moderne est devenu un grand barnum où chaque match mobilise une foule énorme, où les retombées économiques et médiatiques sont exponentielles, attirant vers lui tous les gens du coin, forts de leur pouvoir attractif. 
Au-delà du plaisir évident d’assister à cette évolution, Roland y trouve aussi une excitation sportive et une certaine exaltation identitaire en tant que Bayonnais et fier de l’être. 
Pourtant, son monde reste toujours le rugby qu’il a connu avant, aussi bien en tant que joueur, entraîneur ou même dirigeant ; ce rugby amateur, sans trop d’apparat, celui qui reste confiné aux petits terrains annexes et aux stades de villages. 
Le monde affairiste du rugby pro n’a pas ses faveurs, il ne s’y sent pas à sa place et n’a pas grand-chose à dire devant le pouvoir de l’argent. 
Ce n’est tout simplement pas son monde, il n’en conçoit nulle amertume ou tristesse, préférant se retrouver avec ses copains de la cellule recrutement de l’association Aviron Bayonnais pour trouver le futur joueur qui portera haut les couleurs bleue et blanche. 
Je lui évoque Bayonne/Biarritz, il me lâche un énorme pfffff !!! 
La seule chose dont il veut se souvenir, dans un sourire, c’est le trop-plein de tensions qui régnait la semaine précédant le match, exacerbant les passions au-delà du raisonnable. 
Il n’en dira pas plus, et je crois que son ressenti parle plus qu’une longue explication venue d’on ne sait où et qui n’apportera pas plus d’eau au moulin du seul vrai derby du rugby français. 
Déjà, deux heures qu’on parle, que les paroles fusent, que la réflexion s’impose, son petit-fils passe parfois nous voir -presqu’en silence-, sa femme, Simone, revient d’un cours de Qi Gong, qu’elle enseigne à des adeptes de l’énergie vitale taoïste cherchant l’équilibre du yin et du yang. 
Tout semble paisible comme un long fleuve tranquille, on reprend notre entretien là où on l’avait laissé. 
J’enchaine sur son rôle d’entraîneur, lui qui a repris les rênes de l’équipe première avec Roger Etcheto, en cours de saison (1985-1986), après une lourde défaite à Toulon. 
Il me précise qu’avant d’accepter le deal que lui a proposé Jean Grenet, il a appelé ses prédécesseurs pour s’en expliquer, toujours la notion de respect et les valeurs familiales qui lui ont été inculquées. 
Il a trouvé un groupe en plein changement générationnel, lui qui avait quitté cette équipe à peine 3 ans plus tôt, en tant que joueur et capitaine . 
L’effectif était de qualité, mais n’a pas su trouver le leadership qui lui aurait permis de surfer sur le haut de la vague comme lors de la décennie précédente. 

Le groupe s’est qualifié régulièrement pour les phases finales, mais sans jamais dépasser les barrages ou les 1/8ᵉ de finale. 
À l’instar de cette 1ʳᵉ année où, après un barrage victorieux contre Pau à Dax, l’équipe s’est inclinée dans un huitième de finale aller/retour contre Agen, victoire à la maison et large défaite à Armandie. 
De toute façon, tous les matchs à l’extérieur étaient très compliqués, comme quoi l’ère moderne n’a rien inventé. 

Après avoir été entraineur durant 4 ans de l’équipe première des bleus et blancs, il a rendu ses crampons et son survêtement pour signer une licence de dirigeant et de sociétaire, jamais interrompu, soit 50 ans de fidélité à son club de toujours. 
Notre entretien touche à sa fin, une dernière question pour savoir ce qui le touche ou l’émeut dans le rugby d’aujourd’hui et Roland, dans un contre-pied dont il est coutumier, esquisse un sourire réfléchi, avant de me glisser comme une confidence : 
Le recueil des joueurs fidjiens qui se réunissent à la fin du match, tous mélangés pour une prière ou un chant, en totale communion. 
Quelle plus belle fin, que cette incantation des meilleurs “îliens” de la planète rugby pour clôturer notre entretien entre souvenirs nombreux, pensées multiples et chistera travaillé vers l’ultime étape de cette rencontre: un questionnaire de Proust revisité version ovale . 
Quand je suis reparti, Roland m’a raccompagné jusqu’à mon véhicule, me remerciant de ma visite et s’excusant de ne pas être très prolixe. 
Alors, faut croire que j’ai le pouvoir de le rendre volubile, je n’ai fait que poser les questions, il a juste répondu, longuement avec ses mots et sa gentillesse coutumière. 


À très bientôt, capitaine… 

Texte :  Pierre Navarron 

Aviron Bayonnais Rugby Formation Formation Bts Ndrc Mco 1979.80 Fin Du Manoir Petrissans Trophee
Aviron Bayonnais Rugby Formation Formation Bts Ndrc Mco 1981.82 Finale AB Agen

Photos : Michel ETCHELET